“Gagner 100 victoires en 100 batailles n’est pas le sommet de la maîtrise; vaincre l’ennemi sans se battre est le sommet de la maîtrise” Sun Tzu – L’art de la guerre – 4éme siècle avant J.C.
Que voilà une assertion pour le moins étonnante voire provocatrice, bien caractéristique de ces proverbes chinois abscons et plus poétiques que réalistes. !
Mais si on s’arrête quelques instants sur le propos, une sorte de vertige s’en dégage et simultanément la pensée devient rêveuse. Serait-il possible de vaincre sans combattre ? Si c’est le cas, alors il s’agit là d’une voie très intéressante à examiner.
Sun Tzu laisse entendre qu’il y a une méthode, une voie, au-delà de la maitrise parfaite de la technique, c’est-à-dire de l’art de la mise en œuvre. En effet, s’il déclare qu’on pourrait gagner 100 victoires en 100 batailles, il veut dire gagner tout le temps. Or, on n’arriverait pas pour autant au sommet de l’art. Il y a donc derrière la technique une raison plus élevée qui rendrait possible la victoire sans combattre.
Le théoricien de la guerre sait que le déclenchement des hostilités est un échec, puisque cela démontre que l’ennemi n’a pas craint de s’opposer et de livrer combat. Alors, comment parvenir à cette situation de maitrise absolue telle que l’ennemi renoncerait à livrer bataille pour se rendre à l’évidence de la supériorité de l’adversaire.
Sur quoi se fonde une telle évidence s’imposant à l’ennemi, c’est à dire au marché et/ou aux concurrents de l’entreprise, au point qu’il se refuserait à agir ? Ne pourrait-on pas expliquer la « paralysie de l’ennemi » par le fait qu’il constaterait chez son adversaire une organisation parfaite, une préparation rigoureuse et le déroulement d’un plan d’action sans faille, de telle sorte que toute opposition serait vouée immanquablement à l’échec.
Revenons à l’entreprise :
– Lorsqu’une volonté de conquête et de croissance fonde avec une très grand cohérence les plans d’action,
– Que le positionnement de l’entreprise face aux concurrents est correctement déterminé et systématiquement exploité
– qu’en vertu de cette cohérence sont mobilisés dans l’entreprise le personnel, l’actionnaire, les fournisseurs, y compris les banques fournisseurs de capitaux, les clients, l’environnement naturel, la société civile et plus généralement les partenaires de l’entreprise,
– que le sens de l’action est clair, connu et partagé par tous car générateur d’une vraie ambition,
Alors on peut parler de mise en œuvre d’une stratégie prometteuse de grands succès..
La stratégie est donc la CAUSE de cette cohérence ; elle donne du sens, (c’est à dire la direction et la signification) aux objectifs. On comprend alors qu’une stratégie claire et réaliste confère au quotidien une puissance telle que l’entreprise semble avoir atteint « le sommet de la maitrise ».
Or, pour beaucoup la stratégie d’une entreprise se confond avec ses objectifs, voire sa tactique à court terme : Une augmentation de la rentabilité des ventes, une diversification géographique, un élargissement de la gamme de produits ou une concentration des activités sont très souvent regardés comme une stratégie. Il s’agit plutôt d’objectifs, ou éventuellement de la matérialisation pratique de la stratégie.
Le concept de stratégie est plus large et plus élevé.
– Plus large car il vient définir la cause première des différents objectifs de l’entreprise et de ses actions. Il est, comme nous l’avons vu, à l’origine d’une cohérence qui se décline en un grand nombre d’opérations.
– Plus élevé car il se situe au rang premier, celui de l’Idée (au sens de l’idéa des grecs anciens) qui va ensuite être déclinée de façon cohérente et englobera ainsi toutes les conséquences.
La stratégie désigne donc la raison première, la cause, d’où découleront toutes les actions et plans que l’entreprise va décider et inscrire dans son quotidien.
Ainsi lorsque Michelin décide de maintenir sa position de leader dans le marché du pneumatique devenu mondial du fait de la croissance des pays émergents, il se réfère à une position stratégique, à un principe stratégique qui vient ensuite se décliner
– dans les programmes d’investissements industriels dans les différentes zones d’Asie et d’Amérique Latine,
– dans la poursuite d’un intense programme de recherche et d’innovation lui permettant de garder une avance sur ses concurrents, en valorisant l’efficience énergétique,
– dans le renforcement de la structure financière avec une augmentation de capital,
– dans l’attention portée à la qualité des hommes et leur satisfaction au travail.
Mais, si la « cause » des plans d’action est la volonté de conserver et d’exploiter cette position de leadership, on pourrait encore s’interroger sur « la cause de la cause » : Pourquoi la position de leader procure des avantages ? et lesquels ?
La science et la recherche stratégiques ont mis en évidence avec « la courbe d’expérience » l’intérêt d’une telle position, où le leader bénéficie d’un avantage réel de prix de revient par rapport à ses concurrents.
L’entreprise bénéficie ainsi de belles marges et peut donc conforter son leadership en réinvestissant une partie de ces marges dans la R&D, et/ou dans la quête d’une croissance durable et plus efficiente, et/ou dans l’amélioration des conditions générales de travail génératrices de qualité et de performance, et/ou dans une plus grande satisfaction de l’actionnaire, et/ou ou dans une limitation des prix au bénéfice du client, etc.
Un cercle vertueux peut s’enclencher !
Lorsque Schneider Electric mène une stratégie mondiale de différenciation, il définit son activité de production et distribution de matériels électriques plutôt comme une activité de services concourant à déterminer les solutions électriques les plus adaptées pour ses clients. En rajoutant du conseil, il crée des facteurs de différenciation qui lui permettent de se démarquer de ses concurrents, de conquérir des parts de marché et parfois même de faire accepter un prix peut être plus élevé, si cette différenciation est perçue comme une valeur supplémentaire par le client. Un telle stratégie, pour être efficace, doit évidemment s’accompagner d’un travail approfondi sur les différents facteurs contributifs de la différenciation : qualité et formation du personnel recruté au bon niveau, solutions énergétiques efficientes, présence sociétale perçue, etc. Une déclinaison systématique de cette cohérence accompagnée d’un contrôle de coûts rigoureux pour ne dépenser qu’aux endroits de différenciation est la condition essentielle de la réussite.
Lorsque le groupe ORPEA spécialisé en gestion de maison de retraite médicalisée (EHPAD) et en clinique de soins de suite et de réanimation (SSR) concentre tous ses efforts sur ce seul savoir-faire pour être :
– incontournable dans le regroupement des acteurs locaux de la résidence de retraite,
– expert dans la rédaction de cahiers des charges conformes aux exigences très complexes des Agences Régionales de Santé,
– rôdé dans le fonctionnement et la surveillance des établissements grâce à un corps de procédure parfaitement adapté et rigoureusement observé,
– rompu à la technique du financement des immeubles,
ORPEA mène alors une stratégie de spécialiste concentrant tous ses moyens sur son activité, formant du personnel à ses méthodes, veillant à son épanouissement et sa progression professionnelle et donc à sa stabilité dans l’entreprise. Son savoir-faire est concentré notamment sur sa capacité à limiter des coûts (par exemple efficience énergétique des bâtiments, gestion des déchets, qualité et confort environnemental des ensembles immobiliers lui permettant de faire passer dans le marché des prestations à bonne marge de rentabilité tout en étant inscrit dans une trajectoire de forte croissance.
Ainsi au-delà d’une série de succès répétés assimilables aux 100 victoires en 100 batailles, la compréhension de la stratégie et l’examen de la cohérence dans les plans d’action sont les clés qui permettent d’apprécier si l’entreprise est parvenue au sommet de la maitrise.
Olivier Johanet – 12/10/2012
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