Le monde d’Après, ou la mère des découvertes
Beaucoup ont déjà livré leurs réflexions sur le monde d’après la crise sanitaire, différent du monde d’hier, et fait ainsi état de leurs rêves de rupture. Dans une ambiance de fin de soirée, toutes les nostalgies sont au rendez-vous et les verres se lèvent pour porter un toast de légende : « plus rien ne sera jamais comme avant ». Plutôt que de dessiner l’après, ne vaut-il pas mieux tenter de discerner quelques points émergeants à l’occasion du confinement ? Cela permettra de livrer quelques réflexions qui contribueront à la définition du monde d’Après.
Dans cette période de claustration, chacun est resté chez soi et beaucoup se sont postés aux fenêtres virtuelles, pour être toujours au contact de leurs semblables. Nous avons effectivement été envahis par l’univers numérique, parfois agressivement. C’était absolument indispensable sous peine d’exclusion sociale. On croyait que le progrès dans ce domaine serait lent, requérant l’effort d’au moins deux générations. Et voici que le choc sanitaire accélère l’Histoire !
L’utilisation massive du télétravail a permis à une bonne part de la population active de poursuivre son activité économique, et à la population scolaire et étudiante ses études. Il a donc été démontré que beaucoup de choses pouvaient continuer à fonctionner, ouvrant ainsi droit à de larges espoirs. Par exemple, l’usage des grands centres urbains (et a contrario des environnements ruraux) va connaitre une révolution radicale, avec l’inutilité des déplacements quotidiens massifs de population, dans des créneaux horaires très étroits. La porte est ouverte à une organisation sociale du travail plus respectueuse du temps de chacun et aussi de la protection de l’environnement. Également, avec cette crise, les télétravailleurs ont gagné leurs lettres de créance, en militant implicitement pour la vertu du résultat, et non de la présence, au grand bonheur finalement des employeurs qui n’avaient avant que la présence pour s’assurer de la réalisation du travail ! La « télé-activité » laisse définitivement poindre le germe d’une vie différente. « L’extension du domaine de la lutte » s’ouvre et peut produire tous ses effets, très larges si on y réfléchit bien …. de la téléconsultation médicale, juridique, ou autres, à la téléconsommation, la télédéclaration, la télévideo-conférence, le télé-enseignement, et même la télésignature, avec internet et les connexions téléphoniques larges et rapides. Encore faut-il que tous les territoires soient couverts (en tout cas mieux qu’aujourd’hui, où les zones rurales sont souvent blanches !). Certes tous les travailleurs ne sont pas accessibles au télétravail. Certains devront continuer à se déplacer ; ils le feront certainement plus aisément.
Mais ce nouveau bienfait a son revers. Dès les premiers jours du confinement, les réseaux sociaux ont été envahis par des experts auto-proclamés de tout poil, notamment médicaux. A été poussée très loin la perversité d’un système médiatique ouvert à tous, laissant libre cours le plus souvent à la manipulation et la tromperie. Or, l’information exacte et non trompeuse est essentielle dans un univers largement digitalisé. Voilà un des défis de l’avenir proche. Le but est certes très difficile à atteindre, mais il faut arrêter de laisser la place aux bandits de grand chemin et autres faux prophètes qui savent dévaliser les plus faibles et manipuler le plus grand nombre.
Enfin, cette formidable ouverture du nouveau monde numérique montre heureusement ses limites. Chacun a vite pris conscience du besoin de contacts humains, concrets, chaleureux et solidaires. Le manque s’en est fait sentir durement et rapidement. Alors le monde d’Après, numérique, pourra fonctionner de façon plus efficace, si nous n’oublions pas que nous avons eu l’occasion de mieux prendre conscience de ce qui fait notre humanité, que nous devons préserver avec le plus grand soin.
Olivier Johanet, Président de La Financière Responsable – 06/05/2020