[Contribution publiée dans la revue de la Société Française des Analystes Financiers (SFAF) “ANALYSE FINANCIERE” n°51  Avril-Mai-Juin 2014]

De mauvaises performances sociales pèsent sur les résultats globaux d’une entreprise. Pour l’investisseur, le taux d’absentéisme figure parmi les indicateurs de la performance sociale d’une entreprise à analyser. Les travaux d’analyse réalisés  par La Financière Responsable sur les entreprises européennes, et synthétisés chaque année au sein de l’Empreinte Ecosociale® de ses portefeuilles, fournissent  un intéressant éclairage sur les composantes de l’absentéisme, son importance par secteur d’activité et ses coûts directs et indirects pour l’entreprise. Autant d’informations utiles pour des investisseurs de long terme dans leur sélection de valeurs…

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Le taux d’absentéisme est communément défini par la formule : nombre de jours d’absence * 100/effectifs * nombre de jours travaillés. En France, le taux national d’absentéisme s’élève à  4,59% en 2013, soit une moyenne de 16,6 jours d’absence par salarié (2013).

Certaines catégories de population sont plus concernées par l’absentéisme : les ouvriers (41% des arrêts maladie pour 27% de la population active), les employés (35% des arrêts maladie pour 30% de la population active) et les plus de 55 ans (plus de 17% des arrêts de travail pour 10% de la population active).

Les différentes composantes de l’absentéisme

Selon l’Alma Consulting Group[1], les différentes composantes de l’absentéisme sont :

  • Les arrêts maladie qui représentent la cause de 89% des absences ;
  • Les accidents du travail, 10% des absences ;
  • Les maladies professionnelles, 1% des absences.

Il est également possible d’intégrer à la notion d’absentéisme les « autres types d’arrêts » comme les grèves, les congés autorisés, les événements familiaux et les absences non justifiées, non évoquées par l’Alma Consulting Group.
Les arrêts maladie représentent donc la majorité de l’absentéisme. Il existe un taux « incompressible » d’arrêts maladie dû à des facteurs de nature individuelle, totalement étrangers à l’entreprise. Cependant, selon Henri Forest, secrétaire confédéral de la CFDT cité par l’ANACT (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail)[2], plus de 60% de l’absentéisme aurait pour origine des affections ostéo-articulaires et psychiques qui seraient directement liées aux conditions de travail. L’Agence Européenne pour la Santé et la Sécurité au Travail, dans un document publié en 2009[3], apporte un éclairage complémentaire en estimant à 50% la part des absences liée au stress et affirme que l’absentéisme demeure un indicateur représentatif des risques psycho sociaux en entreprise. Le graphique synthétique ci-dessous met en évidence la part importante de l’absentéisme liée aux risques psycho-sociaux et ostéo-articulaires en entreprise.

 ComposantesAbsenteisme
Source : La Financière Responsable, Février 2012,  à partir de l’étude de l’Alma Consulting Group  et de l’ANACT

L’absentéisme peut être   révélateur d’une faille dans l’organisation du travail et la bonne marche de l’entreprise. C’est pourquoi il convient de s’attacher à le quantifier et à l’analyser au niveau des entreprises.

Absentéisme et secteurs d’activité

Dans le cadre de ses activités de gestion et à l’occasion de ses recherches sur les entreprises La Financière Responsable a interrogé près de 150 entreprises sur leur taux d’absentéisme. Elle a ainsi mesuré et comparé le taux d’absentéisme de valeurs des entreprises composant son OPCVM actions zone euro, LFR Euro développement Durable, et celles du CAC40 et d’Eurostoxx50 sur  cinq années :

absenteisme moyenne

Source : La Financière Responsable, Empreinte Ecosociale 2013, février 2014.

Ne disposant pas de données sur l’Europe en dehors de l’Allemagne, le France et le Benelux, le taux d’absentéisme en Europe est estimé à environ 5 %. Les mesures réalisées pour environ 80 % des effectifs des sociétés composant le Cac 40 et l’Eurostoxx 50 constatent une réduction générale du  taux d’absentéisme, estimé aux environs de 4 % pour le fonds LFR Euro Développement Durable. La réduction générale du taux d’absentéisme pour le Cac 40 (-16.4 %)et l’Eurostoxx 50 (-13.4 %) de 2008 à 2012 sont respectivement dû aux progrès réalisés par les entreprises Accor et Air Liquide pour le Cac 40 et également Banco Santander, Enel et Iberdrola au sein de l’Eurostoxx 50.

L’évolution de l’absentéisme est contra cyclique à la dynamique économique : en période d’anticipation d’un environnement économique porteur, il tend à augmenter et a contrario il diminue au sein des effectifs en prévision d’une conjoncture économique difficile.

Le tableau ci-après permet d’apprécier l’influence du secteur d’activité sur le taux d’absentéisme de l’entreprise. Il convient au préalable de noter que les taux de réponse sont parfois faibles : Pour le Cac 40, les taux d’absentéisme ne représentent que les résultats d’une seule entreprise avec Accor pour le secteur du tourisme et des loisirs ou encore Air Liquide pour le secteur de la Chimie.

Source : La Financière Responsable, Empreinte Ecosociale 2013, février 2014.

Les secteurs présentant les taux d’absentéisme les plus élevés sont la construction, les télécommunications, la santé et les services aux collectivités (secteurs qui ont en commun d’avoir eu sur longue période eu des actionnariats publics significatifs), la banque et l’assurance, les biens de consommation mais également l’immobilier.

A contrario, les secteurs des médias, des nouvelles technologies, des médias, des ressources de base et de la distribution affichent les taux d’absentéisme nettement moins élevés que les deux indices boursiers retenus dans l’étude mais aussi que la donnée nationale française (4.85 %).

Les données récentes collectées par La Financière Responsable corroborent les observations de Denis Monneuse, sociologue spécialiste de l’absentéisme et auteur d’un ouvrage sur la question L’Absentéisme au travail[4] , qui relèvent des taux d’absentéisme supérieurs à la moyenne dans la banque, la chimie, la pharmacie, l’assurance, le BTP, l’industrie et les anciennes entreprises publiques. A l’inverse, les entreprises de commerce, les prestataires de services et les SSII sont moins exposés à ce phénomène.

Enfin, l’analyse des données d’environ une centaine de sociétés cotées par les équipes de La Financière Responsable semble indiquer qu’il n’existe pas de véritable corrélation  entre la taille de l’entreprise mesurée par sa capitalisation boursière et le taux d’absentéisme mesuré dans l’entreprise.

Coûts apparents et coûts cachés de l’absentéisme 

L’absentéisme représente un coût très élevé pour les entreprises comme pour les systèmes de santé publics, (de l’ordre de 7,7 milliards d’euros pour l’Assurance Maladie, qui verse des Indemnités Journalières de Sécurité Sociale (IJSS) pour 50% du salaire de l’absent (plafonné à 48,43€ par jour), après 3 jours calendaires de carence.)

Ainsi on estime que globalement, une baisse de 1 % de l’absentéisme en entreprise représente pour cette dernière une économie de coûts équivalente à 1 % de la masse salariale de l’entreprise, et inversement. Le tableau suivant liste les différents types de coûts qui s’imposent à l’entreprise et qui résultent de l’absence d’un de ses salariés.

absenteisme_couts

  • Le coût direct (cas français)

Depuis 1978 et l’inscription de l’article L. 1226-1 au Code du Travail, l’entreprise est tenue d’assurer au salarié absent (de plus d’un an d’ancienneté) 90% de sa rémunération les 30 premiers jours calendaires, après un délai de carence de 7 jours, puis 2/3 de sa rémunération pour les 30 jours suivants.

Néanmoins, l’Inspection Générale des Finances et l’Inspection Générale des Affaires Sociales ont montré, en 2003, que sur 164 conventions collectives étudiées, 128 comportaient des dispositions relatives à l’indemnisation complémentaire, le plus souvent dépassant le minimum exigé par la loi [5].

C’est le cas notamment des métiers de la banque, de l’assurance, de la finance, de l’industrie pharmaceutique et chimique où le salarié absent bénéficie systématiquement d’un maintien à 100% de son salaire (pour une durée variable), dès le premier jour d’absence.

Ainsi, on peut faire l’hypothèse d’un fort écart dans la prise en charge par l’entreprise de l’absentéisme entre celles qui sont soumises à la base légale et celles qui appartiennent à des secteurs dont les conventions collectives traitent du sujet.

  • Le coût indirect

Si le coût direct de l’absentéisme peut être bien identifié, son coût indirect est par nature plus complexe à estimer. Néanmoins, une étude tente de le calculer : Denis Monneuse[4] , opte pour un ordre de grandeur du coût indirect de l’absence de 2 à 4 fois le coût direct en fonction du statut du salarié. Le coût moyen pour l’entreprise d’un salarié absent représente plus de deux fois ce qu’aurait coûté à l’entreprise la présence du salarié.

A partir de cette estimation du coût global de l’absentéisme, nous avons tenté de calculer, à titre d’exemple, le coût de la variation du taux d’absentéisme pour Air Liquide en 2010. En effet, celle-ci communique de manière exhaustive ses données sur l’absentéisme et a vu son taux d’absentéisme augmenter de 10% entre 2008 (5,1%) et 2010 (5,6%).

Selon nos calculs, cette variation du taux d’absence pourrait ainsi lui avoir coûté plus de 2 519 000€ soit 0,1% de sa masse salariale. Ce résultat permet dès lors de donner un ordre de grandeur de ce que pourrait, à contrario, engendrer une baisse du taux d’absentéisme.

Ainsi, de manière générale, un engagement en faveur de la réduction de l’absentéisme est à encourager du fait de l’économie de coûts qu’il permet de réaliser.

 

Pour conclure :

Lié pour une part importante à des raisons psychosociales, l’absentéisme est un des indicateurs révélateurs du climat managérial et de la bonne organisation du travail en entreprise. Si la mesure du taux d’absentéisme est  utile pour tout chef d’entreprise soucieux de la qualité de son management et de la performance de l’entreprise, la réduction du taux d’absentéisme est en outre source d’économies de coûts substantielles pour cette dernière.

Pour l’investisseur de long terme, l’étude du taux d’absentéisme pourra être complétée par l’analyse d’indicateurs sociaux donnant une vue d’ensemble cohérente et permettant d’apprécier la qualité sociale de l’entreprise : indicateurs liées à l’évolution des effectifs, des taux de fréquence et des taux de gravité en matière d’accident du travail, taux de rotation et taux d’attrition du personnel notamment.


[1] Baromètre de l’absentéisme 2010, Alma Consulting Group, enquête réalisée auprès des DRH de 323 entités  représentant  325 800 salariés en 2013.

[2] «Absentéisme : le débat est ouvert », Revue Travail et Changement de l’ANACT, n°139, Janvier/Février 2010.

[3] «OSH in figures : Stress at Work – facts and figures », publication de l’Agence Européenne pour la Santé et la Sécurité au Travail, 2009.

[4]  Monneuse D. (2009), L’absentéisme au travail, éditions Afnor.

[5]  IGS et IGAS (2003), Les dépenses d’indemnités journalières, octobre

 


Pour plus d’information lfr@lfram.fr

Cette publication a été réalisée par La Financière Responsable dans un but d’information uniquement. Elle ne constitue ni une offre, ni une sollicitation, ni une recommandation par un membre quelconque de La Financière Responsable en vue d’un conseil ou d’un service d’investissement, pour acheter ou vendre des instruments financiers.